M.-T. Guignard: La liberté de la presse dans le Canton de Vaud

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Titel
La liberté de la presse dans le Canton de Vaud. 1798-1832


Autor(en)
Guignard, Marie-Thérèse
Erschienen
Lausanne 2011: Bibliothèque historique vaudoise
Anzahl Seiten
484 p.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
François Jequier

Le titre de cette remarquable thèse prête à confusion, car il s’agit plus d’une étude fouillée sur les atteintes administratives et pénales à la liberté de la presse, reconnue dans les principes fondamentaux de la Constitution helvétique du 12 avril 1798 que de son application réduite à deux ans entre 1798 et les coups d’État de 1800. Mentionner la liberté de la presse dans une constitution est une chose, la rendre effective et la respecter sur le terrain en est une autre, et, le mérite de cette recherche originale, basée sur les correspondances administratives, les procédures judiciaires et les registres officiels, met bien en évidence le fait que l’absence de bases légales, due en partie aux troubles politiques d’un pays occupé, n’empêcha pas les gouvernements successifs, tant helvétiques que vaudois, de chercher par tous les moyens à contrôler la presse afin qu’elle soutienne, sans état d’âme, les actions des Autorités en «écrivant dans le sens du gouvernement» et en s’interdisant toute critique qui pourrait perturber l’esprit public et ébranler le nouvel ordre politique issu des cendres de l’Ancien Régime. «L’opinion publique était un enjeu fondamental pour les nouvelles autorités démocratiques et elles avaient bien l’intention de contrôler la presse et de la diriger». La raison d’État l’emportait largement sur les grands principes des droits de l’homme nettement en perte de vitesse, de même que l’idéal révolutionnaire en 1798, mis à mal par le Directoire et Bonaparte.

Durant ces premières années du XIXe siècle, la Suisse et le canton de Vaud connurent de pesantes tutelles de la France d’abord, puis, dès 1814, des Puissances de la Sainte-Alliance qui firent peu de cas de la liberté de la presse.

Une introduction générale d’une trentaine de pages dotée d’un appareil critique de haute tenue commence par définir les concepts actuels de la censure et de la presse, si bien protégée, avant de survoler les mêmes concepts en Pays de Vaud sous l’Ancien Régime, puis l’émergence de la liberté de la presse en Europe et aux États-Unis avant de présenter l’objet de cette étude et l’état des sources. Ces dernières pages ciselées qui permettent au lecteur d’envisager l’ampleur de la recherche et les choix de la démarche auraient eu leur place en début de cette introduction. Le livre est structuré en trois parties qui correspondent à l’évolution chronologique du thème, «mais le critère de délimitation choisi a été celui de l’existence ou de l’absence d’une reconnaissance constitutionnelle ou légale de la liberté de la presse», ce qui explique les différences de durée des périodes retenues: deux ans pour la première partie d’avril 1798 aux coups d’État de 1800, une vingtaine d’années pour la seconde où disparaît la liberté de la presse, et, enfin, une douzaine d’années pour la troisième période (1819-1832), marquée par le premier élan libéral en faveur de la presse, la première loi du 14 mai 1822, suspendue par le Conclusum du 14 juillet 1823, et se terminant avec la loi sur la presse du 26 décembre 1832 examinée avec soin dans le dernier chapitre. Chaque partie débute par un cadre historique, bijou de concision, bien utile vu l’instabilité politique tant vaudoise qu’helvétique et internationale, suivi de chapitres comportant les mêmes rubriques:
– La liberté de la presse (ou son absence…)
– La presse vaudoise
– Les mesures administratives directes, soit les censures préalables ou répressives – Les mesures administratives indirectes: caractère officiel du journal, frais de port, droit de timbre, etc.
– Bases légales et procès de presse
– Conclusion

Cette démarche solidement étayée et scrupuleusement respectée par l’auteure n’a rien de contraignant. Elle facilite l’entrée en matière de chaque période et elle permet, comparaisons à l’appui, de mieux saisir l’évolution des débats et des enjeux autour de ce concept de liberté de la presse qui ne pèse pas lourd selon les circonstances et surtout selon les pressions exercées par les puissants voisins qui se crispent de plus en plus face à ce petit canton si fier de son indépendance octroyée plus que conquise.

Les deux premières années de la République Helvétique sont scrutées avec attention; si les principes généraux de cette Constitution imposée par les armées du Directoire, sont favorables à la liberté de la presse comme le montre la création de nouveaux journaux, les circonstances troublées amenèrent les Autorités à parer au plus pressé soit contrôler la presse par des mesures répressives et non plus préventives même s’il y eut recours à la censure préalable. L’arbitraire s’imposa rapidement comme le montre le procès de Louis Reymond nimbé de flou juridique dû à l’absence de bases légales qui perdurera jusqu’à la première loi sur la presse de 1822.

Marie-Thérèse Guignard relève avec finesse, citations a l’appui, que le journaliste Louis Reymond refusait toute liberté d’expression aux adversaires du nouveau régime; en véritable jacobin admirateur de Robespierre, il «estimait qu’avant la victoire totale de la Révolution, les libertés publiques devaient être limitées et que la liberté de la presse notamment ne devait pas être reconnue aux ennemis du nouvel ordre». En décembre 1799, Frédéric-César de La Harpe n’était pas loin d’adopter de telles mesures avant de se faire éjecter du Directoire helvétique. Le déclin de la liberté de la presse (1800-1819) jusqu’à sa disparition au profit et au nom de l’ordre et de la tranquillité publics est analysé minutieusement de même que la situation de la presse vaudoise. Toutes les mesures administratives directes et indirectes ainsi que les procès de presse montrent à quel point les rédacteurs et éditeurs de journaux se trouvaient sous étroite surveillance. Mais la noirceur du tableau est nuancée par l’auteur qui souligne que «les nombreuses plaintes que les autorités vaudoises reçurent de l’extérieur du Canton montrent toutefois que la censure vaudoise n’était pas très efficace».

La dernière partie consacrée à l’évolution libérale (1819-1832) est plus juridique qu’historique avec l’analyse de l’adoption et de la suspension de la loi sur la presse du 14 mai 1822, qui cède le pas devant le Conclusum de 1823 et le rétablissement de la censure préalable, laquelle sera, toutefois, exercée de manière moins arbitraire que dans les périodes précédentes. Cette situation particulière n’empêcha pas de nombreux procès de presse. Celui, intenté à Vinet et Monnard, laissa, une fois de plus, apparaître les mesures teintées d’arbitraire prises par le Conseil d’État vaudois. La présentation de la loi sur la presse du 26 décembre 1832, qui resta en vigueur jusqu’en 1938, est abordée dans le dernier chapitre; elle mit fin à la censure préalable tout en prévoyant un cautionnement préalable moins élevé et en diminuant la sévérité des peines.

Marie-Thérèse Guignard a tenu ses objectifs précisés dans son introduction, soit «analyser pour chaque période la question de la garantie constitutionnelle de la liberté de la presse et de la perception de ce droit fondamental parmi les membres du gouvernement, puis les différentes sortes de mesures administratives infligées par les autorités à la presse», et surtout, elle a su s’élever au-dessus de ses sources pour tenter de s’approcher de la réalité et du vécu des acteurs qui se souciaient, somme toute fort peu de bases légales, quand ils étaient condamnés devant les tribunaux par des autorités politiques peu concernées par l’arbitraire de leurs décisions.

Durant ces décennies, la presse vaudoise fut confrontée au flou juridique que les différents gouvernements ignorèrent au nom de la sacro-sainte protection de l’ordre public qui justifiait le secret entourant les débats politiques du Grand Conseil, puis du Conseil d’État. Tous les gouvernements ont cru affermir leur autorité en muselant les journaux d’opposition. Cette étude approfondie, qui suit des hypothèses de recherche clairement précisées, enrichit nos connaissances de cette période de transition entre la fin de l’Ancien Régime et les prémisses de l’ouverture d’une société libérée, plutôt que libérale, si l’on suit l’auteur dans son appréciation du libéralisme des «Pères de la Patrie» qui méprisaient la populace en affichant des visées peu démocratiques comme le fait apparaître les sources citées.

Une belle démonstration de ce que peut donner une recherche originale menée avec rigueur sur un thème comme la liberté de la presse, dont l’absence durant les périodes envisagées, n’est qu’un des paradoxes de la démarche qui rappelle cette évidence qu’une loi a peu de sens pour un historien si elle n’est pas appliquée, soit confrontée à la réalité. Avec une belle maîtrise, Marie-Thérèse Guignard a fait, là, son métier d’historienne en donnant tout son sens à la réflexion de Michelle Perrot : «Plus que de ses sources, l’historien est tributaire du regard qu’il porte sur elles».

En plus de la richesse de l’appareil critique déjà mentionnée, les annexes rendront de précieux services. Le tableau des principaux journaux politiques de 1798 à 1832, la chronologie des atteintes à la liberté de la presse durant cette période, les notices biographiques des acteurs tant journalistes qu’hommes politiques, références à l’appui, et, enfin, l’index onomastique, feront de ce beau livre un instrument de travail indispensable.

Citation:
François Jequier: Compte rendu de: Marie-Thérèse GUIGNARD, La liberté de la presse dans le Canton de Vaud 1798-1832, Lausanne: Bibliothèque historique vaudoise, 2011. Première publication dans: Revue historique vaudoise, tome 120, 2012, p. 422-424.

Redaktion
Veröffentlicht am
05.12.2013
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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